ETATS DES YEUX | Juillet 2023| Lettre à Jane BIRKIN et aux autres filles ou femmes
lundi 17 juillet 2023
Chère Jane,
Je ne sais pas où vous êtes à présent. Des inconnus cernent votre maison Parisienne. Pas mal de monde s'est réveillé, consterné ou ravagé, en apprenant votre mort solitaire, c'était ce Dimanche. Les journaux , les médias et les réseaux sociaux se sont emparés de votre vie qu'ils prétendent connaître... Une profusion de photos, de souvenirs people inonde à présent les écrans et bientôt les magazines. Mais vous vous en foutez bien sûr, vos derniers instants ont-ils été paisibles, drôles ? J'imagine un - Merde ! Qu'est-ce qu'il m'arrive, j'ai encore fait un truc qu'il ne fallait pas, mais c'est vrai je suis de plus en plus flagada, je ne remonte pas la pente, j'en ai un peu marre je crois... ! J'imagine toutes sortes de scènes , je n'imagine rien en fait, je projette mes pires craintes, je vois simplement quelqu'un qui s'arrête de vivre et qu'on va retrouver inerte à 11 heures du matin... comme une poupée triste - Oh ! Pardon, je voulais dormir plus longtemps cette fois ! Jane, quelqu'un de discret et de pudique comme vous qui n'a pas donné l'alerte et que sa famille va pleurer avec des millions de gens. J'en fais partie et je n'ai pas honte de le dire. Je ne suis pas fan des sixties, j'étais à peine née, mais j'ai suivi votre belle évolution artistique, votre émancipation en fait. Vous étiez l'une de ces "enfants d'hiver" dont vous aviez la nostalgie, votre enfance heureuse sous des regards aimants, votre dégaine de garçon manqué et débraillé me plaisait follement. Rien ne vous prédestinait à devenir une icône androgyne et hyper féminine avant l'heure. Vous avez surfé sur toutes les vagues de la dictature de la beauté, vous êtes restée intacte , juste plus fragile à l'intérieur devant les grands malheurs, les vôtres et ceux autour. Vous la British à l'accent délicieux, êtes devenue Parisienne puis Bretonne par goût du bonheur (parfois compliqué) et de la solitude bien employée. Votre capacité d'amour inépuisable vous a permis de devenir quelqu'un de doux et de généreux.Votre présence sur les plateaux télé n'a jamais été nunuche, vous saviez vous défendre comme un caméléon astucieux. Ils veulent que j'incarne leurs fantasmes, allons-y allons au zoo... Après tout, c'est moi qui m'amuse... Mon chien est moins idiot que tous ces prétendants lubriques... Au moins, il sait qui lui donne à manger... Où est-il d'ailleurs ce chien ? Est-il resté en Bretagne ? Est-il mort ou confié quelque part ? Est-ce que quelqu'un va prendre en compte sa peine ? Vous teniez votre chien comme un enfant sur vos genoux et c'était drôle. Dans le film de Gaëtan Roussel, que j'ai revu hier, vous disiez votre plaisir que les gens du coin vous foutent la paix. La Bretagne vous rapprochait de l'Angleterre, et surtout de votre père dont vous avez revisité les souvenirs de guerre... Vous aduliez votre mère, la beauté incarnée, actrice et complice, vous auriez aimé avoir fait un film sur elle , comme l'a réussi votre fille Charlotte sur vous il y a deux ans. C'est grâce à elle que j'ai compris ce que j'aimais en vous : la liberté d'aimer sans entrave, sans souci excessif des commentaires, sans possession non plus... Juste la fidélité des sentiments et la reconnaissance... Je me souviens de votre "Gainsbourg Symphonique" en Ardèche, un monument de gratitude et de grâce... Vos derniers albums sont des cadeaux immenses à votre public.
Je ne parle pas ici de vos filles, car cela me met les larmes aux yeux. Bien sûr , on va voir des images, ces traques à l'émotionnel qui polluent la confidentialité du deuil. Je souhaite qu'on vous réserve un accompagnement et une inhumation aussi pudique et délicate que vous l'êtes encore dans mon regard très triste. Je vais relire votre journal intime et écouter vos disques, histoire de ne pas vous quitter trop vite et trop mal.
Je vous offre l'une de vos chansons, dans "enfants d'hiver", elle vous ressemble tant...
Prends cette main qui a beaucoup servi
Fais un pansement autour d'elle
Il faut lui apprendre
A se servir des doigts
On a coupé les ongles
Trop court une fois
Prends ces bras qui ont serré les maladresses des inconnus
Entoure ce corps qui a donné la vie
Avec les brassières de survie
Prends cette bouche et cogne les dents
Je veux connaître tes veines tes bleus
Tes plis ta nuque voir tes cheveux
Dans tous les sens et upside down
Pousse un peu de toi dedans
Soulève les pulls les jupes et les voiles
Je veux être devant toi à poil
Et endormie sentir le poids de ton
De ton corps qui pèse qui pèse sur moi
Je veux sentir ton coeur reposé
Contre la cage
Qui enferme le mien
Oser être vue par toi demain
Les yeux bouffis
La main posée sur ta hanche la marque déposée
Veux-tu bien être mon dernier amour
C'est pas grave si pour toi
C'est pas grave
Si pour si pour toi si pour
Si pour si pour
Toi c'est pas sûr
Je pense à toutes les filles, à toutes les femmes qui restent encore craintives face à la liberté, je leur dédie toute votre vie publique pour les encourager à vous rejoindre dans la joie et les pleurs.
Jane Jolie Jane, je vous aime.
Une femme (encore) vivante.
"Charlotte, son prix d'interprétation à Cannes et
aux Césars et Lou meilleure artiste. Je ne pense pas
qu'une autre mère au monde ait trois filles qui
réussissent mieux qu'elles. Elles me donnent la chair
de poule [...]
J'ai diné avec Charlotte et les enfants et elle a dit
qu'elle était fière de moi, qu'elle comprenait la
beauté de ce que Serge a écrit pour moi, que ma
voix était très puissante, comment Serge faisait-il
pour écrire deux chansons en une nuit ? Oh, j'étais
si contente, si heureuse."
Jane BIRKIN, Post-scriptum, Journal 1982-2013
ET CETTE SUBLIME LAST ONE : JANE B... for EVER